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Jardin thérapeutique dans The Conversation

Le jardin thérapeutique enrichi : un concept qui ouvre des perspectives pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer

Une publication de Septembre  2021 dans The Conversation

 

 

Le long d’un fleuve, accroché sur une falaise, dans un écrin de verdure, au bord d’un lac, à l’orée d’une forêt, autour d’un palais, surplombant une ville… le jardin inscrit son empreinte mais aussi sa part de rêve. L’imaginaire qu’il inspire dépasse souvent largement sa réalité ; il associe la créativité de l’homme à son admiration pour la nature. Le lieu qu’il occupe emprunte à la magie pour projeter ses reflets sur nos sentiments.

 

Le jardin tremplin de l’imaginaire :

 

A Babylone, les jardins suspendus donnent le vertige et nourrissent le cortège de vertus dont les jardins se sont parés au cours des siècles.

Qu’ils aient été des lettrés dans la Chine du XIème siècle, des moines sur l’Ile de Kyushu au XVIIème siècle, de riches bourgeois anglais au XVIIIème siècle, des amoureux de nature à Chaumont sur Loire, ils ont chacun dans leur culture et leur civilisation, assouvi dans le jardin une quête et une stimulation des frontières de leur imagination.

 

Le jardin médecin ?

Dans son dessein d’éduquer les peuples souvent analphabètes aux dogmes de l’église, celle-ci a confié à chaque plante un message louant des vertus chrétiennes :

  • Le lys par sa blancheur était le symbole de la pureté, de l’Immaculée Conception
  • L’ancolie, aux cinq pétales, était comparé à cinq colombes, et la colombe à l’Esprit Saint
  • Le fraisier, caché parmi les herbes, symbolisait l’humilité ; sa fleur blanche, la pureté ; sa feuille trilobée, la Trinité ; son fruit rouge, la Passion.

Il en fut de même avec l’Islam, qui consacrait ainsi les jardins du « Paradeis ».

De là, à proclamer que le jardin est un docteur omnipotent, les marches sont franchies sans efforts par les amateurs du jardin. Échappant aux exigences des études cliniques, des protocoles d’expérimentation et d’évaluation, le jardin a été consacré médecin sans prendre de précautions quant aux pathologies que l’on pouvait lui adresser, ni aux pratiques thérapeutiques que l’on pouvait lui confier.

Le concept de jardin enrichi

Ce sont les travaux de Donald Hebb (1946), un neuropsychologue de l’Université de McGill de Montréal, qui nous ont inspiré pour explorer cette nouvelle voie.  En plaçant des souris de laboratoire dans un environnement enrichi et stimulant, il a montré que ces souris ont eu des fonctions cognitives, une épaisseur du cortex cérébral et d’autres mesures neurobiologiques améliorées de façon significative par rapport en comparaison des souris ayant un environnement habituel (1).

Des résultats analogues ont été obtenus par la suite sur le modèle murin de la maladie d’Alzheimer (2).

Dans la cadre d’une approche translationnelle, nous nous sommes demandés si les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer pouvaient voir leurs symptômes s’améliorer en fréquentant un environnement enrichi et stimulant.

Émerge alors le concept de « jardin enrichi » : associant la dimension paysagère du jardin au concept d’environnement enrichi et stimulant, que nous avons mis en œuvre dans des Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes qui avaient parmi leurs résidents une proportion élevée de personnes atteintes de maladie d’Alzheimer.

Ces jardins enrichis réunissent dans un espace de liberté et de nature des modules d’enrichissement avec les lesquels on souhaite que les résidents interagissent. Par exemple, certains modules comme le cadran solaire cible les troubles d’orientation temporo-spatiale, le chevalet végétal est indiqué pour les troubles cognitifs, et l’espace sérénité est conçu pour être un médiateur des troubles du comportement (agitation, agressivité, anxiété)

 

Le concept de jardin enrichi inverse les codes d’usage de l’architecte ; au lieu de partir de l’environnement pour monter son projet, elle met au centre l’humain. À partir d’un diagnostic sur l’état de santé des résidents ou des patients en institution médicales, elle forme pour eux une enveloppe adaptée.

Au sein du jardin, nos travaux de recherche ont démontré qu’il convenait d’associer des éléments formant la « matière active » du jardin.

La conception de cette « matière active » résulte d’un travail participatif associant des neuropsychologues qui ont décrit l’univers cognitif et comportemental dans lequel vit un patient Alzheimer, des ergothérapeutes qui ont orienté les dimensions d’ergonomie de ces éléments, des psychomotriciens qui ont facilité et guidé la déambulation et les gestes dans le jardin, des gériatres et des artisans qui ont traduits ces besoins en objets concrets.

Ces objets émergent dans le jardin comme s’ils avaient poussé avec lui en quête d’une fusion avec la nature. L’équilibre avec le végétal tend vers une notion aérienne –suspendue entre ciel et terre. Le jeu avec les formes, les reflets et les lumières participent de cette quête.

 

Une étude clinique encourageante vient d’être publiée dans la revue Alzheimer Research and Therapy (3) et a été menée chez des résidents de 4 EHPAD atteints de la maladie d’Alzheimer. Chacun de ces EHPAD disposait à la fois d’un jardin enrichi et d’un jardin classique ayant des accès séparés. L’étude a porté sur 130 résidents atteints de la maladie d’Alzheimer au stade avancé qui ont été répartis en trois groupes.

Ceux du premier (groupe contrôle) n’ont pas été incités à se rendre dans les jardins et de fait, y va très peu. Ceux du deuxième groupe ont été incités par le personnel à se rendre dans le jardin classique quatre fois par semaine. Ceux du troisième groupe ont été incités par le personnel à se rendre dans un jardin enrichi .

Les participants ont été suivis pendant six mois et leurs capacités cognitives globales, leur autonomie fonctionnelle et leur risque de chutes ont été évalués par des outils classique de l’évaluation gérontologique(4) .

Nous avons observé des différences significatives de l’évolution de ces paramètres entre les groupes. Les résidents incités à fréquenter le jardin enrichi ont eu des capacités améliorées par rapport à celles mesurées six mois plus tôt, alors que chez les résidents des deux premiers groupes (contrôle et jardin classique), il était noté un déclin identique au cours des six mois de suivi.

Bien que cette étude comporte plusieurs limites, elle nous encourage dans cette voie pour étudier plus finement les effets d’environnements enrichis pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

Nous envisageons un essai clinique où la fréquence et la durée des interactions entre les résidents et les modules d’enrichissement pourront être mesurées. Il reste aussi à mieux comprendre comment la fréquentation des jardins enrichis peut avoir des effets positifs et comment des dynamiques d’appropriation opèrent pour certains résidents ou encore pour d’autres acteurs de l’établissement comme les personnels ou les visiteurs.

La poursuite des efforts de recherche est donc pleinement justifiée pour permettre au jardin enrichi de prendre une véritable place dans le parcours du patient Alzheimer en institution. Le concept de « jardin enrichi » est lancé.

Face aux maladies chroniques, la nature joue la carte du temps. Elle apaise un peu, restaure parfois, soulage encore. Les politiques de santé publique se doivent de respecter cet équilibre, où chaque homme s’engage à une observance au profit de sa propre santé et de celle de ses proches.

Il ne s’agit pas là d’une question de croyance, il s’agit davantage de construire un équilibre vertueux avec notre environnement. Puisque le jardin est une œuvre humaine nichée dans la nature, nos explorations sur le jardin enrichi nous apprennent qu’il faut prolonger nos intentions par une approche scientifique. Ainsi, la nature deviendra effectivement thérapeutique.

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Publications sur les jardins thérapeutiques

Il existe une assez importante base documentaire sur les jardins thérapeutiques. Certaines publications se contentent d’en donner une définition, d’autres résultent d’un travail exploratoire de l’existant.

Il est possible de distinguer 3 types majeurs de publications sur les jardins thérapeutiques.

  • La conception du jardin thérapeutique ou « healing garden »
  • L’utilisation et l’animation d’un jardin thérapeutique
  • Les publications scientifiques sur les jardins thérapeutiques

Cette page ne s’inscrit pas en « critique littéraire » avec l’intention de classer ces différents ouvrages ou articles en fonction de leur intérêt ou contribution aux connaissances acquises dans le domaine.

La conception d’un jardin thérapeutique

Plusieurs ouvrages constituent actuellement de bonnes références :

  • Daniel Winterbottom – Amy Wagenfeld : » Therapeutic Gardens, Design for healing spaces » (2015) – Timber Press
  • Clare Cooper Marcus – Naomi A. Sachs : « Therapeutic Landscapes – An evidence -Based Approach to designing healing gardens and restorative outdoor spaces » (2014) – Wiley
  • Clare Cooper Marcus – Roger S Ulrich – Marni Barnes and al. : »Healing Gardens – therapeutic benefits and design recommendations » (1999) – Wiley
  • Sue Minter : »The healing garden – a practical guide for physical and emotional well-being » (1993) – The eden project books
  • Jérôme Pélissier :  » Jardins thérapeutiques et hortithérapie » (2017) – Dunod
  • Fondation Méderic-Alzheimer : Guide pratique jardin, conception et élaboration de jardins à l’usage des établissements médico-sociaux et sanitaires 

Aucun de ces ouvrages ne fait cependant références aux jardins enrichis et une approche clinique du jardin, vraisemblablement aussi, parce que les premières communications que nous avons faites sur le sujet datent de fin 2015.

L’utilisation et l’animation d’un jardin thérapeutique

Il n’existe pas à notre connaissance d’ouvrage complet sur le sujet- mais on trouvera de nombreux petits guides, ou des chapitres consacrés à l’intérieur des livres pré-cités.On pourra ajouter quelques références cependant :

Denis Richard : »Quand Jardiner soigne » (2011) Delachaux et Niestlé

Nancy Bench: « The healing garden »  (2012) Grey House in the Woods

Les publications scientifiques

Elles sont très nombreuses et nous vous mettrons en ligne prochainement une revue systématique de littérature sur la question de recherche suivante:

 » le jardin thérapeutique en institution pour des populations psycho-gériatriques : quels bénéfices sur les troubles du comportement? »

  • T Rivasseau-Jonveaux : »Healing Gardens and Cognitive Behavioral Units in the Management of Alzheimer’s Disease Patients: The Nancy Experience » (2018) Journal of Alzheimer Disease
  • Edwards and al : » An evaluation of a therapeutic garden’s influence on the quality of life of aged care residents with dementia » (2013)- Dementia
  • Shukor and al. : »A Review of Design Recommendations for Outdoor Areas at Healthcare Facilities » (2012) – Journal of Therapeutic Horticulture
  • S Rodiek and al « Outdoor environments for people with dementia » (2007) Journal of Housing for Elderly – Volume 21, 1/2
  • Bourdon E. and al : » les bienfaits des jardins enrichis pour les malades d’Alzheimer » – The Conversation Septembre 2021
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L’appropriation du jardin : un enjeu

Appropriation de l’espace public

Aucune publication s’intéressant au concept et au processus d’appropriation de son environnement par un résident en EHPAD n’a été identifiée. Pourtant, il s’agit pourtant d’un enjeu dès lors que l’environnement est considéré comme un facteur déterminant pour la qualité de vie et la santé du résident. Plusieurs modèles ont contribué à décrire le processus d’appropriation d’un espace public et les facteurs qui y participent. On citera notamment les travaux de GN Fischer (1975) ou de Ripoli & Veschambre (2005).

Et ainsi que le souligne K Popper ou R Boudon, chaque individu n’abordera pas l’appropriation dans une dynamique collective. Mais à l’issue d’un processus personnel et individuel. Son mode d’appropriation d’un jardin enrichi définira son rythme de fréquentation et la nature des interactions qu’il établira avec l’espace.

Notre travail permet de caractériser les modes d’appropriation à travers les interactions qu’ils établissent avec le jardin. Ce travail innovant dans le jardin est également riche d’enseignements sur les interactions qu’établissent une personne âgée en institution avec son environnement. Egalement, Il conviendra de mettre en relation ce processus avec celui décrit par GN Fischer, Ripoli et Veschambre dans l’espace public.

L’appropriation définit donc la capacité d’interaction du visiteur d’un espace public à entrer en interaction avec le lieu. Cette dimension a été largement explorée dans des espaces publics tels que des places, des quartiers, des parcs par des travaux de sociologues associés à des urbanistes.

Modèle Ripoli & Veschambre adapté de l’appropriation de l’espace public

 

Il n’y a pas à notre connaissance de travaux publiés  sur l’appropriation du patient ou du résident en institution médico-sociale avec son environnement.

Appropriation du jardin thérapeutique enrichi

Cette notion nécessite d’examiner  le processus par lequel se passe cette appropriation de l’environnement. Il évaluera  les facteurs qui favorisent cette appropriation. Mais aussi,les étapes par lesquelles se passe cette appropriation. Il vérifiera si le modèle décrit dans l’espace public est transférable à un résident dans un établissement médico-social?

Cette étude sera riche d’enseignement sur la notion de chez-soi, souvent revendiquée par les EHPAD et cependant mal décrite.

Ainsi, cette notion sera appréhendée au travers d’une série d’études qualitatives conduites en 2022 à l’hôpital et différents EHPAD. Il permettra de décrire ce processus d’appropriation perçu par les professionnels de santé, les résidents et les familles. Il servira de socle à des travaux destinés à améliorer le sentiment de chez soi aussi bien au niveau du jardin que de l’environnement de l’EHPAD en général.

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